La Planète Des Vampires
1964. Mario Bava, qui s’était fait connaître en tant que chef-opérateur sur des productions américaines tournées alors dans les studios romains, vient depuis quelques années de passer à la mise en scène. Après avoir terminé les tournages de Caltiki, le monstre immortel et Les Vampires (tous deux réalisés par Riccardo Freda), Bava se voit confier sa première réalisation avec Le Masque du démon. Coup de maître : ce film gothique sublimé par une atmosphère macabre et surréaliste propulse le cinéaste au rang des metteurs en scène les plus en vus de l’époque. Il enchaîne avec quelques pépites gothiques comme Le Corps et le fouet et créé avec le giallo un nouveau genre : celui du thriller italien mâtiné d’épouvante et d’érotisme avec notamment La Fille qui en savait trop en 1962 et 6 femmes pour l’assassin en 1964. Artiste éclectique, il décide donc de se pencher la même année sur l’un des parents pauvres de la série B italienne : la science-fiction.
A la recherche d’un nouveau sujet de film, Bava tombe sur une nouvelle de science-fiction écrite par un jeune auteur, Renato Pestrinerio, intitulée Una notte di 21 ore (« Une nuit de 21 heures »). Dans celle-ci, un vaisseau spatial se pose sur une planète où un astronef s’est écrasé, tuant son équipage. Mais les cadavres se relèvent de leurs tombes… L’ambiance mortifère de l’œuvre convient parfaitement à l’univers du cinéaste qui décide d’acheter lui-même les droits avant de se tourner vers le producteur Fulvio Lucisano. Une demi-douzaine de scénaristes (dont Ib Melchior qui venait d’écrire Robinson Crusoé sur Mars) sera nécessaire pour finaliser le script final de Terrore nello spazio (Terreur dans l’espace), rebaptisé chez nous… La Planète des Vampires !
Précisons-le tout de suite : il n’y a aucun vampire dans ce film… seulement des esprits bien décidés à prendre possession des corps de pauvres astronautes. Bref, il faudrait davantage parler de La Planète des morts-vivants !
Deux vaisseaux spatiaux, Argos et Galliot, s’approchent d’une planète inconnue d’où provient un mystérieux signal. Mais une force d’attraction magnétique fait perdre connaissance à tous les membres de l’équipage de l’Argos, à l’exception du commandant qui parvient à effectuer les manœuvres nécessaires à l’atterrissage. Après que le vaisseau a touché le sol, les membres de l’équipage sont saisis par une rage homicide, dont ils n’ont plus aucun souvenir une fois qu’ils sont revenus à leurs esprits. Après avoir rejoint le Galliot qui s’est posé non loin, ils constatent que tous les membres de l’équipage se sont entretués…
Véritable objet culte, invisible en France depuis 50 ans, La Planète des Vampires démontre une nouvelle fois l’inventivité et le talent de Mario Bava qui parvient à transcender un film au budget famélique (20 000 dollars !) en un space-opera à l’esthétique expressionniste. Il faut dire que le cinéaste sait créer des atmosphères envoutantes à partir de rien : des rochers en plastique récupérés sur le tournage d’un péplum, des encres colorées et une pléiade d’effets optiques aussi vieux que le cinéma lui-même !
Largement inspiré des classiques de la science-fiction américaine des années 1950 (on pense forcément à Invaders from Mars ou L’Invasion des profanateurs de sépultures pour la possession de de l’enveloppe corporelle des humains par les extraterrestres) mais aussi à La Chose d’un autre monde pour l’aspect huis-clos, La Planète des Vampires est pourtant l’occasion pour Bava d’innover : exit les studios inondés de lumière, place désormais à une atmosphère nocturne et hostile. Des paysages menaçants de la planète aux intérieurs des vaisseaux spatiaux, l’esthétique baroque est tout simplement magnifique. Véritable symphonie colorée portée par une bande-son brumeuse (bruits blancs, souffle qui évoque les âmes des fantômes de la planète), La Planète des Vampires peut paraître encore aujourd’hui quasi-expérimentale, à mi-chemin entre le kitsch et la poésie. Il n’est donc pas rare d’alterner entre des scènes de dialogues plats récités par des acteurs engoncés dans des tenues de cuir à des scènes complètement envoutantes, en passant par quelques plans gores.
Mais Bava réussit surtout à allier le space-opera, le gothique et l’horreur. Difficile de dire si sans ce film, il y aurait eu Event Horizon ou Alien par exemple. Le film de Ridley Scott partage en effet de nombreuses similitudes avec La Planète des Vampires, notamment les prémices du film (un appel de détresse venant d’une planète fort peu accueillante) et son plan-séquence mais aussi l’aspect de la planète et ses collines abruptes.
Grâce au producteur Fulvio Lucisano et à Nicolas Winding Refn (réalisateur notamment de Drive et The Neon Demon) et sous la supervision de Lamberto Bava, alors assistant-réalisateur, La Planète des Vampires avait connu en 2016 une restauration en 4K. Après une sortie en salles en juillet dernier, le voici désormais disponible dans une superbe édition DVD et Blu-Ray disponible chez La Rabbia. L’occasion de (re)découvrir dans d’excellentes conditions cette unique incursion de Mario Bava dans la SF, objet d’admiration de cinéastes aussi divers que Quentin Tarantino ou Tim Burton.
Un film de Mario Bava
Avec : Barry Sullivan, Norma Bengell, Ángel Aranda, Evi Marandi