La nuit de tous les mystères
Bien connu pour sa prolifique carrière émaillée de séries B horrifiques aux qualités inégales, William Castle signe avec La nuit de tous les mystères un fleuron du film d’épouvante. Encore peu démocratisée à la fin des années1950, la thématique de la maison hantée pose ici les bases et les ficelles dont s’inspireront en partie d’autres cinéastes. Le statut de précurseur revient néanmoins à des productions avant-gardistes plus anciennes, notamment La maison de la mort ou même The Bat. Pour autant, le film de William Castle a fait date pour de nombreuses raisons, notamment pour son scénario intelligent qui concilie les genres dans un huis clos qui n’a rien perdu de son attrait.
Un hôte de marque
Entame étonnante, la présentation des protagonistes s’adresse directement aux spectateurs avec cris, voix off et visages détachés dans l’obscurité à l’appui. On connaît la propension de William Castle pour manipuler l’expérience cinématographique afin de mieux interagir avec son public. On commence donc par un aperçu des différents intervenants. Ce point de vue subjectif nous convie à titre personnel, comme si l’on faisait partie intégrante du groupe. À la manière des discours enjôleurs des fêtes foraines et autres foires, c’est une mise en bouche désuète et toutefois faite de promesses et de frissons au regard des événements qui s’ensuivront.
Un rien surannée, l’approche n’en demeure pas moins singulière pour se plonger dans une histoire de fantômes qui n’en est pas vraiment une. Au premier abord, l’intrigue propose une vision traditionnelle de la maison hantée. Le contexte, le cadre et la réalisation concourent à placer les protagonistes dans une atmosphère particulière. Le passé des lieux, le témoignage d’un des invités et l’excentricité des hôtes vont en ce sens. Cela suscite un décalage entre la réalité (pour chacun d’entre eux, les motivations se résument à un mercantilisme de bas étage) et la suggestion du paranormal. Ce dernier se manifeste par des apparitions, des portes qui claquent et une menace omnipotente qui plane sur chacune des têtes présentes, semblable à une épée de Damoclès.
Ca jette un flou !
À ce titre, la gestion de l’espace offre un huis clos particulièrement réussi et oppressant. Le faste de la décoration et la taille exubérante de certaines pièces précèdent à des endroits étroits, sombres et humides tels que la cave dont la symbolique se hisse au-delà du simple isolement. Les couloirs, eux, dégagent un sentiment de claustrophobie particulièrement prégnant. Dans cette succession d’impressions contradictoires, les protagonistes évoluent en ces murs sans jamais parvenir à s’affranchir de l’inéluctabilité de leur sort. À la perte de repères constante s’ajoute le contraste. Contraste entre un intérieur rétro et une architecture moderne. Contraste des personnalités qui se heurtent.
Or, si cet aspect remplit son office et fait depuis, figure de classique, il n’est qu’une facette d’une histoire bien plus complexe et subtile qu’escomptée. Les non-dits et les faux-semblants sont prétextes à un jeu de manipulations que ne renierait pas Agatha Christie. La contrainte temporelle, le huis clos et, bien entendu, la véritable teneur de cette équipée nocturne développent un suspense plutôt inattendu en de telles circonstances. Sur la forme, la séquence finale a mal vieilli. La faute à une apparition presque grotesque. Pour autant, l’intention dissimulée derrière les actes et les propos n’a rien perdu de sa force. Elle encourage même à redécouvrir l’histoire pour en saisir toute la finesse.
Ca lui pendait au nez...
Au final, La nuit de tous les mystères est sans doute le film le plus populaire de son géniteur. Soutenu par le charismatique Vincent Price, ce huis clos qu’on pourrait qualifier de Dix petits nègres façon ghost-story, profite d’une atmosphère efficace et, surtout, d’une intrigue surprenante; mettant à mal les relations conjugales par la vénalité des uns, la possessivité des autres. Malgré sa faible durée (l’épilogue aurait gagné à être moins précipité) et quelques aspects vieillissants dans les «apparitions spectrales», le film de William Castle demeure un classique intemporel.
N.B. Si la version noir et blanc confère un cachet unique au film, sa version colorisée a bénéficié d’un excellent travail de restauration pour restituer les couleurs d’antan sans paraître artificielle ou grossière.
Un film de William Castle
Avec : Vincent Price, Carolyn Craig, Richard Long, Carol Ohmart