L'Etrange Vice de Madame Wardh
**Attention, cette critique contient quelques spoilers.**
Délaissée par son mari, homme d'affaires, une jeune femme recroise le chemin de son ancien petit ami. Pendant ce temps, la ville de Vienne est la proie d'un tueur en série.
Variation cinématographique autour d'un genre de romans très populaires en Italie, le giallo (qui se traduit par le mot "jaune"), se caractérise par des meurtres sanglants esthétisés par un jeu de caméra stylisé, et par une partition musicale souvent particulière (l'association entre les oeuvres d'Argento et la musique des Goblin).
En outre, l'image du tueur est souvent représentée par des gants et des armes blanches, ses victimes étant souvent de jolies jeunes femmes dénudées.
En 1963, Mario Bava est le premier à mettre en place les fondements de ce sous-genre cinématographique avec La Fille qui en Savait Trop. Sept ans plus tard, Dario Argento signera un autre chef d'oeuvre du genre, L'Oiseau au Plumage de Cristal.
Révélé par La Queue du Scorpion, Sergio Martino fait partie des bons artisans du cinéma de genre. Il signera quelques films d'aventures exotiques séduisants par la suite, mais nous en sommes encore ici à ses débuts.
L'Etrange Vice de Madame Wardh nous conte les troubles endurés par Julie Wardh, dont le retour à Vienne coïncide avec le redoublement de meurtres orchestrés par un maniaque au rasoir, terreur de la ville.
Entre un mari distant, un ancien amant pervers et le séduisant cousin de sa meilleure amie, Julie se sent en proie à d'étranges pensées. Edwige Fenech, actrice franco-italienne, est le visage féminin principal du film. A l'instar des Michèle Mercier (Les Trois Visages de la Peur) et Claudine Auger (La Baie Sanglante), elle se verra offrir ses meilleurs rôles dans des oeuvres transalpines, devenant l'une des têtes d'affiche de nombreuses comédies érotiques dans les années 70 (La Toubib du Régiment). Sa plastique est d'ailleurs mise en avant dès l'entame du métrage par un cinéaste qui souhaite visiblement poser un regard sensuel sur les victimes de son tueur, aspect dominant le premier tiers du métrage, qui présente aussi la personnalité trouble de son héroïne, masochiste.
Sa relation avec son ancien amant, Jean, est en effet basé sur un lien sado-masochiste tortueux orienté par la thématique du sang, qui servira ensuite de lien dans un dernier tiers de film assez riche en rebondissements.
Outre l'érotisme, Martino privilégie aussi un jeu de couleurs assez riche, offrant des scènes de crimes réussies. Le premier meurtre, pratiqué dans un silence pesant (qu'avait déjà maîtrisé avec génie Bava dans La Baie Sanglante), se rompt dans la fureur du décollage d'un avion, au moment même de la mise à mort d'une prostituée.
Une autre référence à l'univers de Bava est à signaler dans le film, avec la menace sonore d'un goutte à goutte dans la scène du manoir qui faisait office de fil conducteur au dernier skecth des Trois Visages de la Peur (La Goutte d'Eau, d'après Chekhov). Enfin, la scène de la douche rappelle irrémédiablement Psychose. Mais de l'hommage à la copie, il n'y a parfois qu'un pas que ce petit malin de Martino est bien capable de franchir !
Car Martino ne fais pas véritablement partie des orfèvres du cinéma de genre. Néanmoins, en bon artisan, il sait captiver son auditoire, accumulant les suspects potentiels, les meurtres, et les séquences angoissantes (le manoir, le jardin public, le garage), assisté par une partition musicale louable.
Les scènes évoquant les relations tumultueuses entre Julie et Jean, filmées au ralenti pour évoquer la notion de souvenir, apportent une belle touche de noirceur et de vice à l'édifice, les rapports de domination-soumission étant rarement aussi explicites à cette époque.
Toutefois, par moments, Martino n'évite pas des baisses de régime durant la seconde partie de son métrage, ainsi que quelques séances évoquant plus le ringard roman photo que le sordide giallo (surtout celles entre Julie et son nouvel amant, corrompues alors par une bande originale d'un coup très guimauve).
Malgré quelques ingéniosités (comme la scène de faux suicide), l'épilogue, avec ses rebondissements multiples et son twist final, pourra agacer quelque peu, Martino se perdant finalement dans une surenchère qui démontre bien que le giallo est un exercice de style aussi séduisant qu'exigeant.
Toutefois, L'Etrange Vice de Madame Wardh reste un plaisant long-métrage, caractéristique de ce sous-genre aujourd'hui remis doucement sur le devant de la scène cinématographique.
Un film de Sergio Martino
Avec : Edwige Fenech, George Hilton, Ivan Rassimov, Alberto de Mendoza