Grace
Madeline et Michael coulent des jours heureux jusqu’au jour où un tragique accident bouleverse leur quotidien. Michael ne survit pas et Madeline est contrainte d’accoucher d’un bébé mort-né. Seulement, l’enfant reprend vie inexplicablement. Dès lors, la jeune Grace démontre un appétit insatiable pour le sang humain.
La thématique de l’enfance dans le cinéma de genre à véhiculer bon nombre d’idées malsaines et pour cause, tout ce qui a trait à cette période de la vie symbolise l’innocence. La perversion engendre alors un postulat volontairement dérangeant puisque l’on ne peut imaginer pareil cas de figure dans la réalité. Cela remettrait en cause notre éthique, mais surtout nos certitudes (ne sont-elles pas illusoires ?) quant à la véritable nature humaine. Des films tels que Le bon fils, Joshua ou plus récemment Esther sont parvenus à saisir cette étincelle de candeur pour la corrompre et apporter des traits « adultes » à de charmants bambins. Mais Grace va encore plus loin dans le concept. Il pousse la perversion à son paroxysme en exposant cette vision à la naissance, comme si le mal était inné en chacun de nous.
Le cliché de la belle-mère dans toute sa splendeur.
L’aspect brut et dénué d’émotions côtoie le glauque dans un florilège viscéral, presque primitif de l’image. Paul Solet, jeune réalisateur qui a officié sur quelques courts-métrages maîtrisent tant le plan technique de son œuvre que la relation ambivalente mère/fille. Un rapport conflictuel où l’invraisemblable se métamorphose en un maelström de sentiments contradictoires. L’amour jusqu’à l’épuisement. Le don de soi pour son enfant traduit l’indéfectible lien qui unit le parent à sa progéniture. Ainsi, le sang que réclame Grace pour survivre est une transposition littérale d’un besoin vital. De fait, l’acte en lui-même n’a rien de diabolique pour cet être inconscient de nos préceptes moraux. Il s'agit simplement d’un acte naturel. De là à parler de vampirisation de la vie, il n’y a qu’un pas.
Une journée rayonnante pour une vie qui l’est tout autant !
Le cinéaste se focalise alors sur la psychologie des protagonistes. Les personnages secondaires demeurent assez sobres dans l’ensemble. Madeline, elle, se révèle une femme des plus intrigantes. La volonté d’être mère à n’importe quel prix se mue en une obsession rétive et lancinante. À tel point que l’on se demande si ce n’est pas son propre désir qui est à l’origine de la résurrection de son enfant. On pénètre alors dans l’âpre quotidien de cette mère désemparée et exténuée. Une plongée sans retour dans une psychose paranoïaque omniprésente. L’empathie qu’elle porte à sa fille se révèle en fin de compte le vecteur de sa folie. À force de chercher ce qui convient le mieux pour Grace, elle bascule dans la démence.
Qui a dit que les accouchements se déroulaient sans douleur ?
On peut également concentrer notre analyse sur la jeune Grace et son environnement. L’enfant mort-né interloque de par sa vivacité et sa capacité à cerner ce qui l’entoure. À certains moments, l’on se demande même si elle n’est pas consciente de sa situation, mais Paul Solet nous ramène dans le droit chemin en conservant un traitement réaliste dénué de toute fantaisie (ce qui aurait clairement gâché le postulat de départ). Les mouches sont également un élément important à prendre en considération. Elles se révèlent la métaphore de la mort physique et morale de l’enfant, comme si la faucheuse en personne venait réclamer son dû ; que cet être ne peut exister.
Le programme télévisé le plus passionnant depuis bien longtemps.
Il se dégage de Grace une incoercible impression de pesanteur. Les protagonistes semblent enclaver dans une mécanique psychologique implacable. Madeline qui souhaite préserver sa progéniture du monde extérieur, Vivian à la reconquête d’un passé perdu, Michael en quête d’une explication très cartésienne et même le docteur Sohn s’enclave dans un égocentrisme exacerbé où l’ego prend des proportions démesurées pour faire face à ses problèmes. On retiendra de tous ces points de vue une irrépressible volonté de modeler l’environnement à notre vision des choses. Une réaction peut-être naturelle puisque l’on forge nos propres illusions, mais en totale contradiction avec la véritable teneur de la réalité.
Non, ce ne sont pas les mouches d’Amityville.
Bien que l’on apprécie une intrigue dense aux multiples messages sous-jacents, Grace n’est pas exempt de défauts. On notera principalement certains aspects édulcorés, trop abrupts ou même inutiles pour le nœud de l’histoire. Entre autres, la relation ambiguë de Madeline et Patricia, mais surtout des clichés trop évidents pour ne pas les remarquer : la belle-mère acariâtre et mêle-tout, le chat noir porteur de mauvaises nouvelles (ou plutôt de rongeurs décédés). Il ne s’agit que de menus détails, mais qui aurait gagné à être peaufiné, voire supprimer pour certains. Toutefois, cela n’empêche en rien à l'histoire d’interpeller le spectateur, et ce, dès l’introduction qui ne perd pas de temps en vaines facéties.
Pourquoi monde cruel ?
Bref, Grace est un métrage qui s’appesantit sur la relation inextinguible entre une mère et son enfant, ainsi que l’échange (tant physique que psychique) qui s’opère entre les deux. Un traitement psychologique poussé qui oublie parfois d’effacer des clichés malvenus dans le sérieux qui émane du film. L’atmosphère oppressante qui s’en dégage rappellera fortement les œuvres de Roman Polanski (en tête Rosemary’s baby) davantage implicite que des productions plus abruptes et moins identitaires telles que Le bon fils ou Esther (même s’ils demeurent tous deux d’excellents films) où l’on préfère penser qu’il ne s’agit que d’une fiction alors que l’approche de Paul Solet permet au spectateur de s’interroger sur ses propres expériences et la probabilité (ou l’improbabilité) d’une telle dérive psychologique.
Un film de Paul Solet
Avec : Jordan Ladd, Gabrielle Rose, Samantha Ferris, Malcolm Stewart